Le futur du secteur vu par Natixis Coficiné


A l’occasion du numéro spécial édité le 6 décembre dernier pour célébrer ses 80 ans le Film Français a souhaité interroger Isabelle Terrel, notre Directrice Générale, ainsi que Silvia Laj et Christophe Vidal, Directeurs Généraux Adjoints,  quant à leur vision du futur du secteur.

LES DÉFIS du secteur en 2030

« Depuis sa création, la vocation de Coficiné est de participer au financement des activités de production culturelles et d'en accompagner les intervenants en adaptant nos modalités d'action en fonction des évolu­tions du secteur. Cela nous place dans une position d'observateur privilégié de ses transformations constantes et de leurs impacts. Aujourd'hui, Coficiné gère 1,1 Md€ de crédits, dont près de 40% concernent des clients internationaux. La répar­tition des crédits atteste de l'évolution du secteur, avec près de 43% d'entre eux à destination de la production audiovisuelle, 49% pour la production et la distribution cinématographiques, et 8% à destination des salles de cinéma, des industries techniques et des jeux vidéo. Sou­lignons que cette croissance doit beaucoup à l'appui et à la confiance de notre groupe actionnaire (Natixis et BPCE) qui nous donne accès aux ressources requises pour accompagner nos clients dans des projets ambi­tieux â travers le monde, mais aussi pour continuer à tra­vailler avec ces mêmes sociétés lorsqu'elles se trouvent intégrées à des groupes, venant ainsi augmenter les encours globaux de ceux-ci. Au cours des dix dernières années, nous avons assisté à la fois à un phénomène de concentration et à une modi­fication profonde du paysage des diffuseurs TV. Aux groupes européens préexistants (tels que Fremantle et Endemol) s'en sont ajoutés de nouveaux: Banijay (qui a ensuite racheté Endemol), Mediawan, All3Media ou encore Federation Studios. Cette concentration du secteur de la production s'est accompagnée de l'émergence de nouveaux diffuseurs, dont Netflix a été le précurseur, suivi par Amazon. Ce mou­vement de concentration est une tendance de fond, sans doute appelée à se poursuivre au cours de la décennie. Des facteurs positifs sont à relever pour ! 'avenir de la production audiovisuelle. Avec la multiplication des diffu­seurs et des plateformes, la demande de contenus devrait poursuivre sa croissance. Au-delà des programmes propres à chaque chaîne ou plateforme, on constate le développement de la collaboration entre chaînes généra­listes et plateformes, ouvrant la voie au financement de séries TV ambitieuses, qui ne pourraient être financées par les seules chaînes généralistes. Si la production audiovisuelle est le théâtre de la plus forte concentration, ainsi que d'une financiarisation marquée, la recherche de créativité et d'agilité dans le développement devraient permettre le maintien de structures indépendantes. La révision de la directive Smad en 2026 sera un moment crucial pour l'avenir de la branche, et on ne peut que se réjouir qu'un certain nombre d'intervenants aient décidé de surmonter leurs divergences pour créer LaFA afin de défendre ensemble la position française dans ces négociations européennes. Sans nier le contexte actuel en tension du cinéma, il nous semble important de relever des points positifs: - l'importance de la sortie salle dans la vie d'un long métrage et l'existence d'un tissu varié de lieux d'exploi­tation. Si le niveau de fréquentation n'est pas revenu au niveau de 2019, il demeure à un niveau élevé (et bien supérieur à la moyenne européenne). Les succès cette année du Comte de Monte-Cristo, Emilia Pérez, Unp'tit truc en plus, L'amour ouf mais aussi L'histoire de Souleymane illustrent à quel point des films très différents peuvent chacun rencontrer un public nombreux; - avec un peu plus de 2 000 établissements et 6300 écrans, le niveau d'équipement en salles sur le territoire français a atteint un pic. Les principales évolutions concerneront principalement les rénovations, la transition environne­mentale et l'évolution du matériel et des équipements ainsi que les transmissions d'entreprises, avec l'émer­gence d'une nouvelle génération d'exploitants déjà très impliqués et actifs. Le rôle fondamental de la salle dans la transmission et la perpétuation de la cinéphilie, mais également comme vecteur de lien social, est également un axe d'évolution; - le maintien des crédits d'impôt et des Sofica, dont l'utilité indéniable a été confortée. Rappelons aussi la pertinence de notre écosystème réglementaire, susceptible d'ajuste­ments pour s'adapter aux évolutions futures; - l'intégration progressive mais réelle des financements en provenance des plateformes dans le financement de longs métrages, même si cela reste l'apanage d'un certain type de filins. Parmi les défis à relever dans l'avenir, il nous semble important de citer en premier la revalorisation du travail et du rôle du producteur indépendant. L'érosion des marges des producteurs indépendants constitue un facteur de risque fragilisant leur santé financière et obérant leur capa­cité d'investissement en développement. Un solide tissu de sociétés de production indépendante est le garant du maintien de la créativité et de la diversité, l'essence même de ce secteur. Production indépendante et groupes ne sont pas antinomiques mais complémentaires. Il y a également l'enjeu d'une répartition plus équitable des recettes d'exploitation, laissant aux producteurs délé­gués des couloirs en adéquation avec leur travail et les risques encourus. Autre défi majeur, la baisse attendue du financement en provenance des chaînes généralistes, provoquée par la chute attendue de leurs recettes publicitaires. Ajoutons à cela une concurrence accrue sur le marché des annon­ceurs dû au développement de l'AVàD, des chaînes fast et YouTube. Un autre enjeu clé est celui des négociations en cours avec les diffuseurs et les plateformes concernant le financement des œuvres, en souhaitant que leur issue sera positive. Pour cela, nous espérons qu'un consensus sera trouvé entre les partenaires, comme cela a été le cas jusqu'à pré­sent pour le cinéma. Enfin, la priorité sera aussi l'adaptation aux exigences nouvelles imposées par les normes RSE, ainsi qu'aux défis posés par l'émergence de l'intelligence artificielle générative, notamment pour le droit d'auteur. Les solutions à mettre en œuvre pour maintenir à l'avenir la créativité et le dynamisme de notre secteur exigeront de l'inventivité et l'acceptation de nouvelles règles et modes de fonctionnement, mais nous restons confiants dans la capacité ou la nécessité des différents intervenants de les affronter ensemble."